We're crashing into the unknown.
We're lost in this but it feels like home. « C’est gentil d’être passé me voir pour la pause déjeuner. » Déclara la jolie brune qui se tenait assise juste en face de lui.
« Je voulais voir où tu travaillais. » Répondit-il avec un large sourire tout en examinant le self d’un regard circulaire.
« Hum ! » Lâcha avec extase l’infirmière lorsqu’elle entama la dégustation de son gâteau.
« Divin. » Renchérit-elle la bouche pleine, ce qui amusa son interlocuteur.
« Au fait, comment as-tu deviné que ceux aux myrtilles étaient mes préférés ? » Lui demanda-t-elle tout en désignant le muffin qu’elle tenait entre ses deux mains.
« Simple intuition. » « Tu n’as pas faim ? » Renchérit la jeune femme en remarquant le manque de plaisir de Bleidd à croquer dans sa pâtisserie.
« J’ai déjà mangé avant de venir. » Mentit-il ouvertement avant de prendre une autre bouchée qu’il avala aussitôt.
« Tu veux le reste du mien, peut-être ? » Evelyn avait fini de savourer son muffin, il fallait donc saisir cette belle opportunité pour la faire manger à sa place.
« Histoire de te donner des forces pour finir cette longue journée. » Ajouta-t-il immédiatement tout en lui tendant la nourriture par-dessus la table, le coude toutefois appuyé sur cette dernière.
« Ce n’est pas sérieux… » Murmura la mortelle qui se mordillait à présent la lèvre inférieure.
« S’il te plaît, mange-moi. Mange-moi ! » Le Vampire agita le muffin de gauche à droite afin de lui donner vie et afficha une moue triste pour appuyer ses paroles.
« D’accord ! C’est bien parce que tu es à croquer. » Concéda-t-elle en regardant fixement dans les yeux la créature plutôt que la friandise tandis que ses lèvres venaient à la rencontre de la confiserie qu’elle grignota alors dans des gestes lents. Elle picora ainsi dans son intégralité le gâteau – toujours dans la main de Bleidd – jusqu’à être contrainte de le faire elle-même à la fin. Amusé, l’Ecossais découvrit sa large dentition blanche dans un sourire sincère avant d’attraper ses clefs de voiture déposées devant lui.
« Je dois y aller. Mais je t’appelle ce week-end ? » Il se remit alors debout.
« On fait comme ça. » Conclut Evy d’un signe de tête entendu.
« Bon courage. » Lâcha-t-il avec un énième étirement des lèvres.
Après avoir quitté la petite cantine réservée aussi bien au personnel qu’aux patients, le Vampire traversa plusieurs couloirs et prit les escaliers pour aller deux étages au-dessus avant de s’arrêter devant une porte parfaitement blanche sur laquelle il était clairement inscrit que l’accès à cette salle était uniquement réservé aux membres de l’hôpital. Profitant du calme alentour, il passa rapidement une carte magnétique devant la badgeuse et s’immisça en silence à l’intérieur du laboratoire. Il ne fallut pas plus de quelques secondes à ses yeux azur pour analyser les moindres détails de la pièce. C’est avec une rapidité non humaine qu’il ouvrit un réfrigérateur et déroba une bonne dizaine de poches de sang qu’il rangea agilement dans son sac à présent flanqué sur son épaule. Il ne s’éternisa pas sur les lieux et décampa aussi vite qu’il s’était introduit ici. Une chance, le couloir demeurait toujours vide. Personne n’était passé par là. Il regagna instantanément le grand hall d’entrée de l’hôpital mais effectua un passage express à l’accueil.
« Excuse-moi de vous déranger mais j’ai trouvé cette carte par terre. L’une de vos collègues a sans doute dû la faire tomber en passant. » Le visage confiant, Bleidd émit un petit rire franc. Arborer les traits d’un type adorable et honnête ne relevait pas d’une grande difficulté. Il avait parfaitement conscience de posséder ce que les humains appelaient une frimousse d’ange.
« En effet ! » Constata la femme mûre en s’emparant de la carte dont la propriétaire se nommait Evelyn Galloway.
« Merci beaucoup, Monsieur… ? » Rétorqua-t-elle, conquise.
« Johnson. Charlie Johnson. J’accompagne mon père pour ses examens mensuels. » Tout en s’adressant à elle, il lui indiqua un vieil homme en fauteuil roulant, seul dans la salle d’attente.
« Oh ! Je ne savais pas que Monsieur Johnson avait un fils. » La femme observa le malade et Bleidd à tour de rôle.
« J’ai été ravie de vous avoir rencontré Monsieur Johnson. Merci encore pour la carte. »« Portez vous bien Abbigail. » C'était le prénom qu'indiquait son badge. Un clin d’œil, au sens propre du terme, et l’histoire était bouclée.
***
Enfoncé au fond de son canapé, seul, Bleidd regardait de manière distraite la télévision qui crachait un son pratiquement baissé à son minimum. Ses mains encerclaient une grande tasse complètement noire dans laquelle avait été déversé une quantité importante de liquide rouge. Le choix de la couleur de l’objet n’était pas anodin, cela lui permettait en quelque sorte de ne pas avoir pleinement conscience de ce qu’il consommait étant donné – à moi de jeter un coup d’œil à l’intérieur – que la visibilité en était réduite. Un poids en moins à supporter pour sa lucidité beaucoup trop développée. Ne ressentant ni le besoin ni l’envie de mettre le pied dehors cette nuit – après tout, pourquoi bouger lorsque tout se trouvait à notre disposition ? – alors que Samson ne s’était pas montré de la soirée, le Vampire tuait le temps comme il l’avait toujours fait jusque là. En solitaire. Repoussant sa tête vers l’arrière de sorte à la faire s’appuyer contre le haut du dossier du sofa, il patienta sagement dans cette position étrange durant de longues minutes voire heures. Ses doigts n’avaient pas bougé d’un seul centimètre, ils serraient toujours de la même manière la tasse, tandis que seuls ses yeux étudiaient sérieusement chaque morceau du plafond. Une sonnerie bruyante de portable retentit. Libérant l’une de ses mains sans pour autant détacher le reste de son corps du divan, il s’empara du téléphone et lut attentivement le message qui venait de s’afficher. A l’instant même où le nom de l’expéditeur était apparu, ses canines s’étaient rétractées jusqu’à disparaître complètement, ou du moins regagner une taille normale. Evelyn. Dès lors il se redressa, déposa la tasse vide sur la table basse et relut une nouvelle fois le texto. « Impossible de dormir, elle occupe toujours mes rêves. J’espère ne pas te réveiller avec mes bêtises mais j’avais besoin de le dire à quelqu’un. Bisous »
Ce fut amplement suffisant pour déclencher sa sonnette d’alarme. Laissant de côté la carte de la créature démoniaque plus rapide que la lumière elle-même, l’Ecossais enfila une veste – simple habitude – avant de rejoindre sa voiture qui le conduisit aussitôt jusqu’au domicile de son amie. Il était plus de deux heures du matin, débarquer subitement chez elle prouvait déjà sa part de folie, si en plus le tout se produisait en moins de trois minutes, il lui donnerait de sérieuses raisons d’appeler la police. Après deux petits coups modérés donnés à la porte, le passage se libéra. Il put alors découvrir une Evelyn dévastée, les yeux rouges et bouffis, certainement bonne à ramasser à la petite cuillère.
« Est-ce que ça va ? » S’inquiéta-t-il immédiatement.
« Tu es fou ! » S’exclama-t-elle, étonnée.
« Tu n’aurais pas du faire tout ce chemin, à cette heure, à cause de moi. » Elle recula de plusieurs pas afin de le laisser entrer puis referma la porte derrière eux avant d’enclencher le verrou.
« Pour toi. » La reprit-il d’un ton concerné après avoir retiré sa veste pour la placer sur une chaise.
« Je ne voulais pas t’alerter inutilement… » Commença-t-elle avant de l’inviter à la suivre dans le salon, où elle prit place sur le canapé.
« C’est juste un petit coup de mou, ça va passer. » Elle tapota la place vide à ses côtés.
« Sûre ? » Bien que peu convaincu par la non gravité de la situation, il vint tout de même s’asseoir près d’elle, un sourire réconfortant au bout des lèvres.
« Certaine. » Dans un profond soupir, elle se rapprocha de lui, glissa son bras sous le sien et posa doucement sa tête contre son épaule.
« Tu es drôlement élégant pour une heure aussi avancée de la nuit. » Le taquina-t-elle avant de lâcher un petit rire cristallin. En effet, Bleidd portait un pantalon noir classique et une chemise blanche dont les premiers boutons étaient ouverts.
« Cette vieillerie ? » S’amusa-t-il faussement.
« C’est ma tenue de tous les jours pour dormir. » En un sens, il y avait une part de vérité dans ses paroles. Techniquement il ne dormait jamais, par conséquent il passait ses nuits éveillé et habillé. Journée ou soirée, quelle différence il y avait-il ? Aucune pour lui. Rares étaient les êtres nocturnes qui prenaient la peine de revêtir un pyjama.
« Tu veux me raconter ce qui te tracasse ? » Retrouvant son sérieux, il braqua son regard sur le sommet de son crâne. Pour toute réponse, la jeune femme haussa simplement les épaules.
« Plus tard, d’accord… » Assura-t-il tout en appuyant sa tête contre la sienne. Ils demeurèrent disposés ainsi durant un temps incertain mais toutefois très long. Ce n’est qu’en se rendant compte que sa main n’effectuait plus aucune pression sur son bras qu’il comprit qu’Evelyn s’était laissée kidnapper par Morphée.
Avec une agilité que seuls ses confrères connaissaient, le Vampire enroula ses bras autour de son corps frêle avant de la soulever du canapé. Dans une tactique silencieuse similaire à celle d’un prédateur, il se déplaça à travers l’appartement jusqu’à pénétrer dans la chambre à coucher où il décida de la déposer doucement sur le lit. Lorsque ce fût fait, ses doigts vinrent instinctivement parcourir délicatement la peau de sa joue. Calme, il l’observait d’un regard contemplatif. La vulnérabilité qu’affichait actuellement son visage ainsi que toute sa silhouette était presque touchante. Lorsqu’il voulut se redresser, une main – venue s’agripper à sa nuque – l’en empêcha. Désormais les yeux grands ouverts, Evelyn le regarda avec une insistance prononcée.
« Reste, s’il te plaît. » Lui intima-t-elle dans un souffle à peine audible. Affichant alors un sourire, il lui répondit simplement en agitant sa tête de haut en bas. La situation avait quelque chose d’inespéré, comme un rêve trop souvent fait mais jamais réalisé. Même s’il n’était plus en mesure de se souvenir ce qu’un songe représentait, il était persuadé que ses émotions actuelles s’en rapprochaient grandement. Sans réfléchir, il s’appuya sur ses avant-bras de chaque côté de son visage et scella ses lèvres aux siennes dans un baiser définitivement différent de tous ceux – peu nombreux certes – qu’ils avaient pu partager. Poussé par ses pulsions animales, le buveur de sang accentua le moindre de ses déplacements, allant jusqu’à mêler sa langue à la sienne dans des mouvements fougueusement bestiaux. Etonnement réceptive, la brunette releva lentement ses jambes et les glissa agilement dans le dos de son compagnon qui à présent répandait ses baisers un peu partout dans sa nuque. Sans jamais interrompre leur échange, la jeune femme se chargea personnellement de détacher chacun des boutons de sa chemise alors que les mains de Bleidd se promenaient dangereusement sous sa nuisette afin d’être en contact avec son ventre. Cinq minutes plus tard, de nombreux vêtements étaient tombés alors que les derniers survivants étaient soit à moitié retirés soit détachés.
« Stop… » Murmura péniblement le Vampire qui se laissait toutefois embrasser dans le cou par ces lèvres incroyablement innocentes.
« On ne devrait pas aller aussi vite… » Evelyn, qui était maintenant assise à califourchon sur son torse, se redressa légèrement dans le but de pouvoir le regarder.
« Quelqu’un chose ne va pas ? » Se risqua-t-elle.
« C’est moi ? » Poursuivit-elle d’une voix encore tremblante de désir.
« Non, bien sûr que non ! Tu es parfaite. » Oh oui elle était parfaite. Magnifique à regarder. Mais probablement aussi magnifique à siroter. Au moment même où cette pensée agressive lui avait traversé l’esprit, l’homme s’était tout de suite fait violence en ralentissant du mieux possible son excitation.
« Prenons notre temps, d’accord ? Ce soir, tu étais mal. J’ai la désagréable impression de profiter de toi et je ne peux pas le tolérer. » Divisée entre deux sentiments, d’un côté celui de partager son avis – qu’elle respectait – et de l’autre une déception certaine, la jeune femme se relaissa mollement tomber à côté de son amant, ou plutôt de celui qui aurait pu l’être. Sans formuler une seule parole, elle vint timidement se lover contre son torse extrêmement froid tandis que Bleidd les recouvrait tous les deux d’un drap. La première étape de la mission était achevée. Désormais il devait attendre que la belle plonge dans un sommeil profond pour pouvoir se libérer de cette promiscuité tentatrice. Mais pour ne pas éveiller les soupçons ou encore passer pour un lâche, il était nécessaire de le faire à une heure raisonnable en matinée. Dans le fond, la vision de Samson sur les relations entre Vampires et humains était peut-être la bonne. L’accouplement d’un monstre avec un ange n’avait vraisemblablement rien de normal.